Introduction
Le Festival de Cannes 2021 a été l’occasion pour les autorités belges et burkinabé d’annoncer leur intention de signer un accord de coproduction cinématographique et/ou audiovisuel. Il n’y a pas d’informations sur le genre ni sur les négociations en cours. Néanmoins, nous pouvons constater que les chercheurs s’accordent à reconnaître à ce type d’accord son rôle fondamental à permettre au film produit d’obtenir la nationalité de chacun des États, partie à la convention et par voie de conséquence permettre aux producteurs nationaux de prétendre aux aides publiques nationales. M. Combet affirme à ce sujet qu’« en réalité, la nationalité d’un film sert à déterminer son éligibilité à des mécanismes d’aides à la production dans un État. Cela veut dire que le film sera en mesure de générer un soutien financier lors de son exploitation en salle, à la télévision et en vidéo et que le producteur pourra également bénéficier de ce soutien pour financer le film » 1. Cette même fonction de la convention de coproduction, conséquence de l’obtention de la nationalité, est soutenue par P. Kamina 2, et des professionnels comme M. Forde3 3.
Par ailleurs, dans les pays européens soumis à l’obligation des quotas de diffusion, cette nationalité du film devrait permettre de satisfaire à la condition de « film national » pour satisfaire à l’obligation, même si l’appréciation relève de la compétence souveraine du gendarme de la télévision tel que le CSA en France.
Un tel accord est une convention et de ce fait comporte des éléments ordinaires, mais aussi des éléments spécifiques au contexte de sa négociation.
Les éléments d’une convention de coproduction
De façon classique, l’accord désigne d’abord les parties qui sont généralement les autorités compétentes en charge de la culture et donc du cinéma. Puis vient l’article fondamental de la conséquence juridique de cet accord. Il annonce ainsi que les œuvres coproduites dans ses conditions bénéficient de la nationalité et donc des avantages dans chaque État, partie à la convention. L’article définit également les autorités locales compétentes pour apprécier si l’œuvre satisfait aux conditions de la convention pour ensuite conférer l’agrément. Il s’agit de l’administration du cinéma.
L’accord prévoit également les conditions d’admission et d’octroi de l’agrément pour bénéficier du statut de coproduction conventionnée, notamment les producteurs compétents ainsi que la condition fondamentale des parts de coproductions. Dans l’exemple de l’accord de 1991 qui lie la France et le Burkina Faso, ces parts sont fixées à 80-20. Dans l’accord de coproduction franco-italien (version de 2000), il est plutôt question d’un apport 90-10 avec une exception permettant de rabaisser les parts en fonction du budget de production de l’œuvre. Pour la convention européenne de coproduction (version de 1992), le taux 80-20 s’accompagne, en cas de coproduction multilatérale, d’une part minoritaire ne pouvant être en deçà de 10 % et une part majoritaire ne pouvant dépasser 70 %.
Les accords comme celui européen définit, en plus, les types de coproduction faisant la différence entre coproductions simplement financières et celles techniques et artistiques.
Des points existent également sur la répartition des recettes, la publicité, la propriété des biens corporels et incorporels ainsi que la coopération.
Pour les recettes, il est posé le principe d’une répartition conventionnelle entre parties. Mais généralement il s’agit d’une répartition proportionnelle aux apports. Pour les négatifs et autres matériaux, il s’agit d’une copropriété. Quant à la coopération, elle concerne la circulation des auteurs dans les pays de la convention, la question de la formation, les échanges des œuvres…
Les derniers points des accords portent sur les dispositions générales notamment en lien avec sa mise en œuvre, sa révision, sa durée… Dans le cas spécifique de l’accord européen, il est également prévu des clauses territoriales, des cas de réserves, de dénonciation et de notification des signatures.
Avec de tels éléments connus, comment peut-on rendre le futur accord belgo-burkinabé plus profitable à tous et plus adapté aux réalités contemporaines ?
Quelques éléments de négociation de la future convention
Le premier élément de la négociation de notre futur accord est la part de coproduction permettant d’accéder à l’agrément. En effet, la situation actuelle est une situation de quasi-inexistence de fonds publics pérennes de soutien au cinéma burkinabé, contrairement à la Belgique. De ce fait, des parts de coproduction situées entre 90-10 ou 85-15 nous semblent être mieux adaptées pour faciliter l’accessibilité à la coproduction officielle. Une telle situation peut également faciliter la création d’une grande quantité d’œuvres à petit budget bénéficiant néanmoins du partage de compétence entre les deux pays.
Ensuite, la question des langues doit être au cœur de l’accord. Il est impératif que l’accord reconnaisse les langues locales, de chaque pays, comme langue nationale de la parte adverse. Cela à l’avantage de protéger la diversité linguistique de chacune des parties à la convention, faisant ainsi la promotion de la diversité culturelle telle que prônée par la convention UNESCO de 2005 à laquelle le Burkina et la Belgique sont parties.
Quant à la question du partage de recettes, malgré la primauté de la détermination conventionnelle, il nous semble important de fixer ce partage à la hauteur des apports. Une telle condition contraindra chaque producteur à faire son maximum pour bénéficier d’un maximum de financement, public comme privé, de telle sorte que sa part de recette en soit proportionnelle. Dans le cas contraire, une fixation par territorialité nationale, permettant à chaque producteur de garder les recettes de son pays, rend le producteur burkinabé vulnérable au regard de l’absence de circuits d’exploitations forts au Burkina, contrairement à la Belgique.
Autre point nécessaire, la question de la territorialité de la dépense. Les pays européens sont soumis à l’obligation d’une dépense territoriale nationale de l’aide publique accordée par l’État. De ce fait, les aides publiques belges doivent satisfaire à une dépense en Belgique, à la hauteur de l’obligation, pouvant aller jusqu’à 160 % du montant de l’aide accordée selon la communication cinéma de 2013. Une telle situation n’arrange pas le Burkina d’autant plus que la Commission européenne reconnaît l’importance de cette territorialité de la dépense en matière de formation de la relève dans les postes techniques. Sachant que la question de la formation est un maillon faible dans le cas du Burkina Faso, il serait intéressant de négocier un point de l’accord qui consacre la reconnaissance des dépenses effectuées au Burkina Faso comme étant des dépenses belges dans le cadre de l’obligation de dépense. Une telle situation aura l’avantage d’aider le Burkina à bénéficier de la vertu formatrice d’une telle obligation. Inversement pour la Belgique, avec l’évolution et la structuration à venir au Burkina, la situation pourra également lui être bénéfique en ce sens que l’avancée technologique belge pourra être utilisée par le Burkina même en cas d’instauration de l’obligation de dépense au Burkina. Des dépenses de postproduction en Belgique permettront par exemple de considérer ces dépenses effectuées par le producteur burkinabé en Belgique comme des dépenses burkinabé satisfaisant à l’obligation légale.
De la même manière, cette reconnaissance protégera les producteurs de chaque partie contre d’éventuels partenaires peu scrupuleux qui voudraient profiter de cette obligation pour s’accaparer de tous les fonds obtenus par l’œuvre sans avoir effectué le travail nécessaire pour les rechercher.
Enfin, pour la question de la coopération, il est important de dépasser les formulations génériques pour tendre vers des points précis identifiés comme besoins des parties.
Dans cette perspective, la question de la formation est primordiale et est déjà d’actualité entre les deux pays. Il faudra davantage la formaliser dans cette convention. Des échanges de formateurs peuvent permettre à l’IAD et à l’INSAS d’envoyer à l’ISIS — SE, des formateurs dans des domaines spécifiques. La question d’échanges de professionnels peut également s’étendre aux courtes formations professionnelles.
En termes d’échanges, l’accord pourra prévoir également un échange de pool de professionnels, auteurs, réalisateurs, techniciens, producteurs… pour des séjours de travail, à tour de rôle, dans chaque pays, pour développer des projets en lien avec le territoire du pays partenaire.
Dans une telle possibilité, la question de la libre circulation est importante et devra être au cœur de la coopération. Une facilitation de l’obtention des autorisations de circulations permettra ainsi un partage d’expérience entre professionnels des deux pays.
Il est important de réfléchir et prévoir, des facilités douanières pour l’importation et l’exportation dans chaque État, du matériel technique. Une suppression des formalités douanières ainsi que les taxes y afférentes permettra ainsi des échanges commerciaux pour les questions du matériel technique. Ainsi l’accord peut être bénéfique aux deux pays sans que nous ne soyons dans une situation ou le Burkina tend la main sans avoir quelque chose à proposer en retour.
Dans une autre perspective, nous pourrions penser à la circulation des œuvres dans chacun des pays. Pour chaque année de la mise en œuvre de l’accord, il pourrait être prévu une semaine du cinéma belgo-burkinabé. Ce cadre de diffusion devra être financé par chacune des parties pour l’activité dans son territoire. Ainsi, les films faits dans le cadre de l’accord pourront être vus par le public des deux parties, avec à chaque fois, la présence des auteurs et éventuellement d’autres collaborateurs. C’est là encore, une perspective d’échange bénéfique à toutes les parties.
Dans une approche purement pratique, l’accord peut prévoir la saisine de l’autorité du cinéma de l’État partenaire, dans les situations conflictuelles. Il existe en effet des cas de conflits entre coproducteurs qui finissent par compromettre la vie des œuvres puisque la saisine de l’autorité compétente dans l’État du coproducteur demande des moyens souvent hors de portée. Quand il est question d’une relation entre producteur et auteur, cette situation cloue pour de bons le projet, car l’auteur est la partie faible. Une instance de médiation pour de pareils cas sera salutaire et évitera les démarches judiciaires souvent trop longues et coûteuses.
Conclusion
Les objectifs de l’accord sont primordiaux pour la détermination des éléments de son contenu. Il est donc nécessaire de définir clairement ces objectifs pendant les négociations. Aussi, l’accord de coproduction doit impérativement prendre en compte les intérêts des deux parties pour produire des conséquences pratiques. Il faut surtout éviter d’avoir un accord de coproduction qui se retrouve dénudé de tout intérêt pratique. Un accord bien négocié et bien structuré peut ainsi produire des conséquences économiques importantes pour chacune des parties.
Bes Ciné Consulting
1 M. COMBET, « Nationalité(s) des films », Juris art etc. | Dalloz, avril 2016, n° 34, p. 19.
2 P. Kamina, Droit du cinéma, Droit & professionnels Propriété intellectuelle, Paris, LexisNexis, 2014, p. 59.
3 M. Forde, « Avantages de la coproduction internationale », Juris art etc. | Dalloz, 2016, n° 34, p. 19.